Episode 22. La peau d'un touriste
Invitée
à un mariage (oui, j’ai une vie sociale), je devais samedi dernier me
rendre à Antigua de Guatemala, dans un resto chic et cher. Mais, comme
je suis une personne cultivée, je devais auparavant passer des examens
de FLE à l’Alliance Française de Guatemala ciudad, perdant
l’opportunité de me faire amener par d’autres invités. Résultat, j’ai
ensuite dû prendre un minibus à touristes, à la sortie de l’aéroport.
Premier
retour au point d’arrivée, au futur point de départ puisqu’en juillet
je reprends l’avion vers vous, j’ai alors eu l’opportunité de voir
arriver les passagers. Après 15 heures de vol depuis l’Espagne, ou 3
heures depuis les Etats-Unis, les yeux tout bouffis de sommeil, rouges
de regarder les films bon marchés, les cheveux rebelles réveillés par
le voyage, hommes et femmes passent en file indienne les portes de
verre. Certains viennent rendre visite à leur famille, ou rentrent au
pays : embrassades, accolades, dignes du meilleur film hollywoodien.
Les touristes sont vite repérables : tout aussi bouffis et échevelés,
ils ont ce regard fatigué et curieux, avide de découvertes.
Désorientés, cherchant le chauffeur de bus qui les attendait, ou
baragouinant un espagnol Assimil avec le chauffeur de taxi en manque de
dollars, ils ont encore l’énergie de porter leurs valises jusqu’au
véhicule, rêvant de leur chambre d’hôtel.
Sympathie, empathie, en
montant à leurs côtés dans le minibus vers Antigua, j’ai retrouvé ma
virginité de touriste, je me suis mise dans la peau de ces voyageurs
globe-trotteurs. Rire devant cette jeune femme, sur le siège arrière du
moto, soutenant tant bien que mal un téléviseur, à 80 km/h sur une
route de montagne. Sentir tous ses muscles se crisper au moment où un
véhicule surgit en face, pendant que nous dépassons une camioneta.
Rester bouche bée devant les volcans qui se rapprochent de nous. Se
demander pourquoi le chauffeur fait le signe de croix.
Mais ce
n’est plus tout à fait la même peau dans laquelle je me glisse alors,
car la mienne, sous cette apparence touristique, transpire la
condescendance et ce petit sentiment de supériorité de « celui qui sait
». Il se signe quand il passe devant une église. Antigua est derrière
les volcans. Mais ce n’est pas Guatemala. Tu verras.
D’ailleurs,
il ne fait pas toujours bon être dans la peau du touriste : victime
facile des arnaqueurs en tout genre, pour ne pas dire des agresseurs,
pigeon vite repéré, nigaud vite attrapé... La peau du touriste ne vaut
pas cher.
Et on le comprend, quand on voit la peau de ces
américaines futures cancéreuses, arracher délicatement entre deux
ongles un lambeau de peau décloquée et brûlée par le soleil du
Pacifique, sans s’arrêter de cultiver leurs tumeurs sous les rayons de
midi. Rouges comme les crabes ou langoustes qu’elles dégusteront le
soir même, elles profitent des chaleurs tropicales avant de retourner
vers leurs vies froides.
La peau que j’enfile est en fait bien
plus agréable, légèrement tannée par le soleil, sans pour autant être
bronzée façon UV. Et toujours repérable comme celle d’une gringa.
L’accent étranger moins marqué, le vocabulaire chapín au coin des
phrases, et le sourire au coin des lèvres pour le chauffeur de la
camioneta qui me laisse descendre, l’air résolu et sûr de soi, devant
la pasarela. L’assurance de celui qui sait, qui connaît, à qui on ne la
fait pas. Celui qui discute les prix du taxi, qui sait par où passer,
où acheter, où aller. Le voyageur égaré, l’européen installé, le
résident expatrié ou le travailleur mal payé, ceux qui savent, ceux qui
sont loin, et connaissent le coin.
Mais qu’il est bon de se
remettre sur le dos cette peau, pour retrouver cet émerveillement du
début, et ne pas finir comme ces vieux expatriés blasés, qui regardent
les merveilles du Guatemala comme on regarde une sitcom à la télé, le
regard vide et bovin !!!
A très bientôt
Emilie.