Episode 12. De la gestuelle comportementale
Bien
des sociologues, psychomotriciens et autres spécialistes (souvenez-vous
de ce vieux monsieur qui intervenait dans l’émission de Bataille et
Fontaine, pour nous expliquer que si Madonna levait souvent les yeux au
ciel dans ses clips, ce n’était pas par dépit mais parce qu’elle était
très croyante) se sont penchés, au grand dam de leurs lombaires, sur la
question des différentes significations de nos attitudes corporelles.
Ainsi,
croiser ses doigts de telle ou telle façon, pencher la tête d’un côté
ou de l’autre, ou bien d’autres mouvements qui nous paraissent anodins,
recèlent bien des informations pour ces fins observateurs du genre
humain.
Pas besoin de thèse, doctorat ou autre diplôme
marabouteux pour se transformer en fin limier
comportementalo-physico-socio-gestuel : certains phénomènes
laisseraient parfois dubitatif même le plus aveugle des observateurs.
Marie
et moi nous sommes donc lancées dans l’observation sociologique :
observatrices externes et impartiales, nous avons voulu explorer toutes
les facettes de ce pays multiforme.
Etape 1 : plongée en milieu externe : samedi 5 décembre, 13h, el Ocupa, journée de concerts organisée par la radio La Marca.
Les
observatrices deviennent les observées : doyennes de la queue des fans
attendant devant l’entrée, et les plus blanches d’entre tous, nous
attendons au milieu d’une foule d’adolescents coiffés façon porc-épic,
arborant des t-shirts aux dessins sataniques et d’élégants et discrets
bracelets cloutés. Léger malaise agrémenté de crises de fou rire.
Venues
voir jouer un collègue, Moisés le bien nommé, nous découvrons donc un
lieu étrange, inconnu, et intrigant. La musique n’est certes pas la
plus douce et mélodieuse, mais supportable. Nous observons donc,
neutres, les ados faire des pogos (pour les non-initiés : saute sur
place, au rythme balancé de la musique locale, puis essaie, tout en
étant en suspension, de rentrer en collision avec l’un de tes voisins).
Puis certains se mettent, d’une façon assez déconcertante, à hocher la
tête relativement rapidement, faisant preuve d’une souplesse assez
impressionante : on pourrait penser qu’ils vont réussir à toucher leurs
genoux avec ladite tête, puisque plus ça va, plus le mouvement est
ample.
Enfin, certains montent sur scène et se lancent dans le
public (pour les initiés, le slam) : nous ne pouvons pas rester neutres
devant ce genre de spectacle, et la peur nous étreint en voyant
disparaître très rapidement ces hommes braves et valeureux qui se
lancent sans savoir si quelqu’un sera là pour les rattraper... pas de
traces de sang par terre, espérons que tout le monde est sorti sain et
sauf.
Le plus étonnant reste tout de même l’arrivée sur scène d’un
groupe salvadorien de « chaotic hardcore » : chaotique, certes,
hardcore, sans aucun doute. Rappelons que secouez sa tête violemment et
rapidement entraîne la perte de neurones. Gageons que le chanteur ne
devait plus en avoir beaucoup en état de marche, comme en témoignait
d’ailleurs sa façon de chanter (je dit chanter, car il tenait le micro
; en l’occurrence il s’agissait plutôt d’un beuglement, à la limite de
la laryngite, qui provoque une douleur aiguë dans le tympan et une
fatigue cérébrale rapide chez l’auditeur). Notre hypothèse est la
suivante : cet homme a sans doute été épileptique dans une autre vie, à
la manière dont il se contorsionnait dos au public (timidité ?) au
rythme frénétique de la « musique ».
Etape 2 : dimanche 5 décembre, 11h, centro cultural Miguel Angel Asturias, Ballet National interprétant Casse-Noisettes.
Ici,
personne qui beugle, et un public digne de l’Ecole des fans : enfants
accompagnés de leurs parents ou grands-parents. Tous vêtus en habits du
dimanche bien sûr.
Intéressant de voir comme des habitudes
culturelles peuvent créer des jugements à la limite du racisme :
certains danseurs, guatémaltèques, petits et rablés, s’agitent sur
scène, dans les règles de l’art. Mais le physique râblé me pousse à
sourire, et certains me font penser au boucher du quartier vêtus de
collants moulants... je n’irai pas plus loin, par peur de heurter les
sensibilités, et de me fourvoyer dans des jugements peu recommandables.
Quoi qu’il en soit, une expérience intéressante : je pense d’ailleurs
me mettre d’ici peu à la danse classique ; je répète pour l’instant
dans le salon de l’appartement, au grand plaisir de Marie.
Etape
3 : expérience inédite : comment vous regardent les gens quand vous
allez au cinéma avec sur le dos un énorme sac de sport plein de linge
propre ???
Et bien, de manière assez étonnante, les gens ne vous
regardent pas. Rappelons l’avantage du sac de linge à portée de la main
: quand vous avez froid à cause de la ventilation, vous sortez
discrètement une petite couverture, encore toute chaude car récemment
sortie du sèche-linge, et vous la rangez soigneusement une fois le film
fini. Autre possibilité : vous pliez votre linge tout en regardant le
film, comme à la maison ! (nous n’avons toutefois pas entrepris cette
manoeuvre, chaque chose en son temps).
Prochain compte-rendu
scientifique dans l’épisode à venir, qui sera le numéro 13 (en espérant
que cela ne me porte pas malheur !)
Ici les fêtes se préparent, le froid est léger, la neige absente, et le soleil toujours au rendez-vous....
A bientôt
Milie.