Episode 26. Le Village dans les nuages / Appelez-moi Pam
Le Village dans les nuages
Suivi de :
Appelez-moi Pam
Deux épisodes en un, pour faire oublier ce long silence !
Le Village dans les nuages
Le
bus jaune, importé des Etats-Unis il y a quelques années, quand les
usagers ne l’ont plus estimé assez bon pour satisfaire leurs popotins
avides de confort, passe me prendre à 6h45, devant un entrepôt-magasin
de vêtements tenus par des Coréens dont les ouvriers travaillent à la
chaîne dans un village reculé pour un salaire de misère. Aussitôt
montée, le bus redémarre, ce qui m’oblige à dandiner joliment mon
propre popotin dans l’allée trop étroite pour lui. Me laissant tomber
sur un siège en cuir décoloré, j’écoute alors les longues plaintes de
Marta, professeur de français intermédiaire, qui, forte de 150 élèves
et de 24 heures de cours hebdomadaires, m'explique ses problèmes (et
elle a bien raison!!! elle a de quoi se plaindre par rapport à sa
coordinatrice glandeuse!).
Tandis que le bus vole vers les hauteurs
de la ville, à 25km du centre et à 100 km/h, je laisse mon esprit
vagabonder en hochant la tête au bon moment, laissant échapper un « oui
» ou un « hum hum » significatif en temps voulus, pour satisfaire les
désirs d’épanchements de la jeune fille précédemment citée.
Après
avoir laissé les élèves descendre en 1er, puisque l’enfant est roi, je
me dirige vers l’entrée du collège, où les voitures, une à une,
viennent décharger une marchandise qui pour la direction de
l’établissement représente beaucoup : les élèves. Car-pool : deux ou
trois coordinateurs ouvrent docilement les portes des enfants gâtés et
les aident à décharger leurs affaires, tout en saluant d’un sourire
Colgate la maman ou le papa qui ne daigne pas descendre accompagner ses
rejetons.
La sonnerie retentit, et la journée commence : pendant que
mes profs, Marta, Betsabé la frêle argentine, et Astrid qui n’adresse
la parole qu’à moi depuis trois semaines (et Dieu seul sait pourquoi !)
se dirigent vers leurs salles de classe, je me charge de vérifier
qu’elles ont accompli leurs tâches. Rentrer les 17 notes bimensuelles
sur le programme Gradequick. Les envoyer ensuite vers le site internet
Edline, où les parents pourront les consulter ; et ceci pour 9 groupes
différents, soit en tout 100 élèves chacune et 18 cours à préparer
chaque semaine. Accomplissant ma propre tâche, je tente ensuite
d’observer un de leurs cours, grâce aux miracles de la technologie :
chaque salle de classe est équipée d’une caméra discrète, et d’un
micro.... Big Brother is watching you... mais je suis une grande sœur
bienveillante et protectrice ! Retournant vers la table dans un recoin
du couloir, qui est sensé me servir de bureau, j’entends alors une
réplique qui résume à elle seule le problème de ce Village noyé sous
les nuages : la sous-directrice explique à la directrice que le
problème avec l’élève X doit être résolu, car le Collège court le
risque de perdre (je cite) « un client ».
Une réunion m’attend :
le Village, où c’est toujours la fête (je laisse les fins mélomanes
saisir la référence), vient de découvrir qu’apprendre l’histoire ce
n’est pas seulement pouvoir dire « 1515 Marignan », où qu’apprendre
l’anglais ce n’est pas uniquement cocher des croix dans des QCM. Et
oui, l’histoire c’est aussi pouvoir analyser, résumer, synthétiser,
expliquer, raisonner, argumenter, et l’anglais c’est pouvoir s’exprimer
et comprendre. Ouaouh !!! Savoir et savoir faire !!! Quelle découverte
!!! D’un air blasé j’écoute donc les gens débattre pendant 1h30 de
choses qui en 30 minutes pourraient être résolues si, sous ces dehors
d’organisation rigoureuse, à la limite du stalinisme, ne régnait pas un
désordre infini...le vernis se craquèle pour qui est dans les
coulisses, et la belle photo que je vous envoie cache un système vicié
dans ses principes, où l’argent est le but suprême, au-delà de
l’éducation...
Heureusement arrive l’heure de donner cours aux tout
petits : innocents, pas encore tout à fait pourris par l’argent,
curieux et sincères. J’espère que la vérité ne sort pas de la bouche
des enfants, puisque j’ai tour à tour entendu les choses suivantes :
1) Carlos, 7 ans : « Tu es maigre ! ». Flattée, j’ai dit merci. « Le bébé est déjà sorti ? »
2)
Marcela, 7 ans, cours sur le corps humain, tout en révisant les
couleurs : « Et les dents sont.... ? » « blanches ! » (tous ensemble).
Marcela : « non, miss, tu as les dents jaunes !!! » (sourire crispé en
me cachant les dents).
3) Ricardo (Ricky), 6 ans : « tu sais ce que tu as sur le visage ? non ? plein de points noirs !!! »
4)
Monther, 6 ans, pendant que je feuilletais son cahier : « pourquoi j’ai
90/100 et pas 100/100 ? » « parce que tu as fait une erreur, et que
c’était 10 points par mot ». « De toutes façons ma maman dis que tu es
bête ! »
5) Tour à tour José Eduardo, Marina, et bien d’autres : « Miss, je m’ennuie ! »
Heureusement,
il y a des gens qui ne se préoccupent ni des points noirs, des dents
jaunes, ou du ventre plus ou moins proéminent : mes prétendants.
Appelez-moi Pam
Alex, ou, comme dirait Thierry, est-ce que sucer c’est tromper ?
Tout
d’abord, il y eût Alex : la trentaine bien tassée, le tein mat, la
moustache année 40 et la coupe de cheveux correspondante, marié, 2
enfants. Depuis un an, les blagues vont bon train : Emilie, pourquoi tu
n’as pas de petit copain ? Emilie, pourquoi tu n’utilises pas ce corps
? mais non, c’est pas grave si je suis marié, entre nous ce ne serait
pas de l’amour, seulement du sexe ! etc. Jörg (mon collègue d’allemand)
et moi nous sommes fait les abdos en rigolant comme des otaries aux
blagues récurrentes. Mais il se trouve que l’autre jour, le sieur Alex
m’a demandé pourquoi je ne prenais jamais au sérieux ce qu’il disait...
et j’ai élégamment (mais l’élégance n’est-elle pas ma principale
caractéristique ? – question réthorique) évité l’écueil en disant que
je n’étais pas intéressée, il faut être plus grand que moi pour pouvoir
sortir avec moi ! (ce qui laisserait bien des guatémaltèques sur la
touche si c’était vrai...)
Wagner Ivan Chillín, également appelé « el aburrido » (l’ennuyeux)
Ami
d’un ami, il est entré en contact avec moi par mail et messenger.
Conversations banales, du type «bonjour ça va ? qu’est-ce que tu fais
? (question traditionnelle sur le messenger, bien qu’il soit évident
que ce qu’on fait, c’est être sur le messenger) quoi de neuf ? etc ».
Bref, sans plus, mais pas moins. Cependant, lors de la rencontre (qui a
toujours été amicale, surtout vu le physique du personnage), l’ennui
s’installe vite et les anges passent lentement mais sûrement.
Heuresement, l’heure du film arrive et sauve la soirée (dans ces
moments là, Nicolas Cage en Indiana Jones au rabais fait l’affaire).
Les conversations sur messenger prennent tout d’un coup un tour
insolite : est-ce que les français font ceci, est-ce que les françaises
font cela, bref, la réputation chaudasse est encore vivace. Mais ce
type de questions est vite lassant, et les allusions salaces virent
rapidement au mauvais goût.
Juan Pablo, « el gato (le chat) » (allez savoir pourquoi ses amis l’appellent comme ça)
Juan
Pablo n’est pas moche : yeux vert, peau mat, cheveux courts, élancé.
Mais s’il pouvait s’abstenir d’ouvrir la bouche, personne n’y perdrait
: sa grande culture cinématographique a fait de lui un spécialiste des
coutumes sexuelles françaises, et comme d’autres auparavant, il me
questionne, dès les premières cinq minutes (il est à la maison car il
est ami d’un ami de ma colloc) :
Est-il vrai que toutes les
françaises ont un tube de vaseline sur leur table de nuit, afin de
pouvoir emporter leur partenaire vers le 7e ciel grâce à leurs doigts
de fée qui savent parfaitement jouer du for intérieur du jeune homme ?
Les françaises couchent-elles dès le 1er soir ?
Les françaises connaissent-elles toutes les positions et font-elles tout ce que le mec désire ?
Après
5 minutes de questions-réponses qui m’ont paru distrayantes, il m’a semblé
que le 7e art avait fait bien des dégâts sur cette âme à l’origine si
innocente, et l’heure et demie suivante sur le même sujet m’a vite
parue lassante, voire dérangeante... le chat n’est pas revenu taquiner
la souris, et heureusement pour lui !
Luis, le finaud
Luis
est finaud : ami du même ami de ma colloc qui avait rapporté un chat à
la maison, il n’a pas laissé entrevoir son jeu. Tchatche tranquille
devant la télé pendant que la susdite colloc flirte avec l’autre ami.
Un bout de pizza, une conversation sympa, il semblait au moins de pas
penser avec les parties inférieures de son anatomie. En parlant de
téléphone, de SMS et autres problèmes de communication, j’ai
(malheureusement) laissé échapper mon numéro, pensant pouvoir ajouter
quelqu’un à la courte liste de mes amis guatémaltèques. Bien mal m’en a
pris : le 1er jour, 7 SMS (bonjour, bon appétit, bon après-midi,
j’espère que tu passes une bonne journée, bon appétit, bonne nuit, fais
de beaux rêves, etc), et les jours suivants, certes un peu moins, mais
toujours aussi ambigus !
Boris Mauricio, l’amoureux transi
Boris
Mauricio est nouveau au collège : doté d’un prénom plus qu’absurde et
d’un physique pour le moins peu attachant, Mère Nature ne l’a pas gâté.
Mais cela ne l’empêche pas de rêver à l’Europe et de fantasmer sur les
peaux blanches (éléments qui n’ont été porté à ma connaissance que très
récemment). Grâce à lui, la plupart de mes collègues m’appelle
maintenant Pamela, ou Pam, en m’envoyant un clin d’oeil complice ou un
sourire narquois. Voici pourquoi :
Il y a 15 jours, Boris Mauricio,
avec qui j’entretenais jusque là une relation professionnellement
cordiale (il est responsable des bus et de la cantine, donc si je veux
manger et voyager rapidement je ménage ma monture.... façon de parler
!!!), m’a demandé s’il pouvait me prendre en photo. Demande qui m’a
semblé plus qu’originale, mais que j’ai gentiment décliné tout en riant
doucement. Il a insisté. J’ai alors dit que, ne sachant pas l’usage
qu’il allait en faire, je ne pensais pas accéder à sa requête (c’est
beau ce que je dis !). Il a encore une fois insisté, en me faisant
remarquer que je rougissais (en même temps il m’en faut peu pour
rougir), et j’ai dit que non, puisqu’ensuite il pouvait très bien
décider de découper ma tête pour la coller sur le corps de.... Pamela
Anderson. « Sûrement pas, vous n’avez rien à envier à Pamela Anderson
». youpi. Ça me fait une belle jambe,..... et depuis, une super
réputation, puisque les nouvelles vont vite (la scène ayant eu lieu
dans la file d’attente pour les photocopies, et mes collègues ayant la
langue plus que bien pendue). La secrétaire de la Direction est venue
enquêter pour lui, savoir si j’accepterais d’aller boire un verre, mon
collègue Jorg me dit qu’il faut profiter de la vie, une prof de 1ere
année me dit qu’il n’est pas fait pour moi, Astrid me dit qu’il est un
peu simplet, Betsabé me dit qu’il est moche, d’autres secrétaires
viennent témoigner en sa faveur, la petite dame de la réception est
venue témoigner d’une conversation dans laquelle il confessait être
amoureux de moi.... bref, je suis en train de transformer le Village en
Collège des cœurs brisés ! car il faut bien le dire, le benêt (qui ne
m’adresse quasiment plus la parole et me regarde comme un chien triste
devant une boucherie quand j’ai le dos tourné, selon mes collègues) ne
m’intéresse pas le moins du monde !
Mais pour pallier à tout
cela, je me suis fait coupé les cheveux mardi soir, et comme Samson,
j’ai perdu ma force : fille cachée de Jackie Kennedy avec Melanie
Griffith (version années 80), après être passée par une troublante
ressemblance mère-fille, je suis maintenant l’équivalent d’un vieux
balai, puisque la coiffeuse m’a menti : il ne suffit pas de mettre un
peu de mousse coiffante pour recréer la magie Kennedyenne qu’elle avait
elle-même fait naître !
Je vais continuer à faire des ravages dans un pays encore marqué par Stan, et je vous fais de grosses bises à tous
A bientôt
Emilie.