Episode 37. Palpitations livresques (1)
Certains
d’entre vous (en réalité seulement ma môman, mais je caresse le rêve
que d’autres y aient pensé) se sont demandés quand arriverait la
prochaine livraison de ma vie… Il faut vous confesser qu’en réalité,
mon quotidien est bien routinier, et qu’entre la salle des périodiques
de la bibliothèque nationale, et la salle des fonds anciens, il se
passe peu de choses palpitantes ; tout dépend la manière dont on les
raconte. Après mûre réflexion, et en quelques mots, voici quelques
palpitations livresques, en plusieurs épisodes pour contenter vos
appétits littéraires.
Palpitations livresques (1) : patience et politesse
Tout
bon chercheur (et tout mauvais doctorant) sait que tout est affaire de
patience dans le monde des bibliothèques. Les moments de travail
attentif sur de vieux bouts de papier alternent ainsi avec de longues
minutes d’attente, pendant que le personnel part chercher les ouvrages
sollicités, ou est au téléphone, caché au fond de la réserve. Les
néophytes (puisque nous parlons du monde de la science et de la
culture, utilisons des mots compliqués, avec des y dedans !) perdent
ainsi leur calme rapidement : cherchant d’un regard inquisiteur la
personne en charge de la distribution des journaux, ils se mettent,
après à peine cinq minutes d’attente, à frapper sur la table doucement
(toc toc toc, qui est là ?), puis de manière plus insistante. Les
regards des autres usagers se tournent un à un vers le sacrilège qui
ose perturber le silence sacré de l’hémérothèque (des mots compliqués,
vous dis-je !) habituellement seulement perturbé par le bruit du tampon
encreur sur les formulaires d’inscription et les clics des appareils
photos. L’homme providentiel arrive enfin, chargé de cadeaux : après
avoir distribué à chacun le journal qui lui revient, il s’occupe de
l’impatient qui, bizarrement, a retrouvé toute son amabilité et sa
gentillesse, à tel point qu’il ne fait aucune remontrance à celui qui a
eu l’audace de le faire attendre.
Il faut avouer qu’il s’agit là
d’une approche recommandable et recommandée de ce côté-ci de
l’Atlantique : le guatémaltèque est susceptible. Il faut donc savoir le
caresser dans le sens du poil, lui brosser les chaussures, et sourire
de toutes ses dents bien blanchies au Colgate. Le moindre emportement
pourrait vous coûter un document : le Guatémaltèque peut être
rancunier. Pourtant parfaitement acclimatée à cette jungle livresque,
j’ai l’autre jour failli mettre en péril le bon déroulement de cette
courses aux documents : arrivée à 9h (non, je ne suis pas une
fainéante, la bibliothèque n’ouvre qu’à 9h !), je me présente à la
salle des fonds anciens, et demande à voir les documents que j’avais
demandés la veille… la personne chargée de me les amener est malade…
personne n’est habilité à la remplacer, car les fonds anciens sont sous
clé et accessibles seulement aux personnes dignes de la confiance du
directeur…et personne ne sait comment ils sont rangés, de toutes façons
! Petite grand-mère que je suis, je n’aime pas voir mes habitudes
perturbées : je grogne, comme toute bonne française qui se respecte, et
m’en vais vers d’autres cieux, la mine renfrognée…
Consciente de ma
bévue, je reviens faire des courbettes dans l’après-midi, me confondant
en excuses plates et souriantes, afin de ménager les personnes
destinées à me fournir des documents se trouvant huit étages plus haut,
sans ascenseurs, mal rangés, plein de champignons, et ce deux fois par
jour… vous comprendrez que si en plus la personne qu’ils doivent servir
ne leur plait pas, l’attente risque d’être longue !!!